
Raconter la femme de mères en filles : une histoire de femme-ille ?

4e génération d'une lignée d'écrivaines franco-grecques, Mailys Mallet donne la parole, d'une voix cristalline, sensuelle et olympienne, à celles qui hantent la féminité onirique : femmes martyres, muses, prostituées, déesses et sorcières y déambulent comme autant de spectres créateurs et tourmentés.
Alors qu'elle écrit déjà ses propres poèmes Maïlys découvre, en 2013, les manuscrits de sa mère et de sa grand mère, toutes deux décédées. Elle décide alors de créer un premier album qui ferait place aux écrits des trois femmes :

Depuis Pepi Daraki, mon arrière grand-mère, les femmes de ma famille enfantent de futures écrivaines ; la tâche me revient désormais. Ma mère et grand-mère décrivent dans leurs oeuvres leur façon d’appréhender la féminité, les chaînes invisibles qui lient leur mains quand celles de leurs amants, représentants aimés du genre qui nous opprime, sont libres de partir, d’abandonner, de tromper.
En parcourant pour la 1e fois leurs oeuvres j’ai été bouleversée : certains mots, certaines images étaient passés d’une génération à l’autre... mon inconscient prolongeait la prose de mes mères. Cependant, j’ai aussi remarqué de grandes différences dans nos écrits, et ces dernières illustrent aussi la façon dont les représentations de « la femme », dont le féminisme, se transforment. Celui de ma grand-mère était plaintif ; le mien revendique
«
»
Hélène Mallet, la mère, La complainte de la muse,
2000
extrait : la femme-martyre devant les «maitre de la Terre»
Je fume comme un dragon, et pourtant je suis Eve
Encore plus que la chair, j’aime le vent de vos lèvres
que celui qui m’écoute devienne mon élève
Et que celui qui m’aime devienne mon amant. (…)
L’oiseau de la sagesse, a péri trop de fois (...)
Cette chouette, c’est moi, animal innocent
c’est la femme martyre qui nourrit de son sang
les faux dieux, les géants, insassiables pervers
Et maîtres de la terre depuis la nuit des temps. (…)
Ne fuyez pas, Ô anges une muse éplorée,
amoureuse esseulée, je vais perdre la tête
Si ne vient quelque prince épris de liberté,
et y pose dessus une couronne de fête.»

Maria Daraki, ici guide touristique de l'Acropole, 1956
Mailys Mallet, la fille. Charmeur de serpents, 2014
Extrait : Circé devant l'abandon d'Ulysse, retourné à Penelope
Toi mon grand prince d'Orient (…)
Accroupis sous l'oeil inquiet des grands chèvres,
Nous suçions des figues du bout des lèvres
Mais toi sans te contenter des graines du
Silence ne pensait qu'à prouver
Qu'le paradis était perdu
Pour toi je l'aurais retrouvé
car tu songeais la nuit venue
Tissant la toile de ton orgueil
A l'immaculée Penelope
et moi 3 vies ayant vécu
Te sachant feinteur, voleur d'oeil
gagnait l'estime d'une sal...
Puis-je y goûter, est-ce que j'ose,
soulever la peau et y mêler mon sang
ton eau moins fluide que ma prose
je l'ai payé au prix du safran (...)
Ulysse tu peux bien voyager
Tu restes un charmeur de serpents
Et moi sorcière et nymphe et fée, Circée
J'ai noyé mes ailes et te suivant

Hélène Mallet (1962-2004)
Maria Daraki, la grand-mère.
La solitude d'Adam, éditions Pierre Jean Oswald, 1973
extrait : Ariane devant l'abandon de Thésée
J'ai assez mangé de ton pain
Dieu qui est dedans
j'ai bu ton vin j'en saigne
j'ai trois mille ans
j'avais les seins dorés par le soleil de Crète
l'oeil grand j'étais de toutes les fêtes
ma robe dansait de mille volants
je Lui en ai donné un fil
un fil de ma robe à volants
il l'a pris
a pris le palais
m'a prise et puis abandonnée
il était grec
il devait fonder la cité
mettre le monde en ordre
extrait : Penelope devant l'abandon d'Ulysse
Si peu tu te souviens de moi qu'à peine si tu m'oublies
J'ai tressé de tes jours un grand tapis d'orient
de tes remords une natte d'enfant (...)
les œufs de la chouette qui pleure dans la nuit
donne au poète un baiser pour qu'il n'écrive plus (…)
fais taire la muse esseulée (…)
